Imaginez l’humiliation de découvrir une photo privée de vous-même dans Internet. Ou la douleur de trouver un site Web rempli d’informations personnelles, de racontars à votre sujet et de déclarations agressives qui vous sont adressées. Imaginez la peur associée à une menace de mort reçue par messagerie texte sur un cellulaire.
Pour de plus en plus de jeunes, ces types de scénarios troublants sont les réalités d’une nouvelle forme d’intimidation, appelée cyber-intimidation.
Internet joue un rôle central dans la culture des adolescents, et crée un nouveau monde pour l’interaction sociale. Les cliques de la salle de repas et d’après l’école ont été renforcées ou remplacées par des messages envoyés sur un téléphone cellulaire Facebook, la messagerie instantanée (MI), les courriels, les sites Web personnels et les blogues (de l’anglais « Web logs » ou journaux personnels). C’est par ces moyens que les jeunes d’aujourd’hui gardent le contact et se font de nouveaux amis. La messagerie instantanée, à l’opposé du courriel, est très pratique, puisqu’elle permet des conversations avec une personne ou un groupe d’amis en temps réel. Le fait d’avoir une longue liste d’amis dans Facebook ou beaucoup de contacts MI, même des gens que l’enfant n’a jamais rencontrés en personne, est devenu un symbole de statut pour les enfants.
Une étude menée en 2002 par Environics a signalé que 99 pour cent des élèves canadiens ont utilisé Internet. Selon une étude menée en 2011 par le Réseau Éducation-Médias, un groupe à but non lucratif d’Ottawa qui surveille l’activité Internet, près de 60 pour cent des Canadiens âgés de neuf à dix-sept ans ont utilisé la MI et les salons de clavardage. Si la plupart des cyber communication sont de nature positive, un nombre croissant de jeunes se servent de la technologie interactive pour harceler et intimider leurs pairs. Les rumeurs destructrices endommagent la réputation des jeunes et perturbent les relations avec les pairs. Les menaces de mort envoyées par messagerie texte sur un cellulaire tourmentent les adolescents qui en sont les destinataires. L’étude du Réseau Éducation-Médias a révélé qu’un quart de jeunes utilisateurs d’Internet canadiens ont reçu des courriels qui contenaient des messages haineux au sujet d’autres personnes. Une étude menée en Angleterre en 2002 a révélé qu’un quart des jeunes âgés de 11 à 19 ans ont été harcelés au moyen d’un ordinateur ou d’un téléphone cellulaire.
Intimidation et cyber-intimidation
L’intimidation prend la forme de harcèlement physique ou verbal d’autres personnes. La cyber-intimidation, aussi connue en tant qu’intimidation sur Internet, s’entend du harcèlement intentionnel qui se fait au moyen de médias électroniques. Les deux mettent en cause le pouvoir et le contrôle. Selon Bill Belsey, consultant en éducation et expert en intimidation d’Alberta, la cyber-intimidation est pire que l’intimidation dans la cour d’école parce qu’on ne peut y échapper. La cyber-intimidation ne se termine pas quand l’enfant revient à la maison. Étant donné que les enfants passent tant de temps sur leur téléphone portatif et Internet, ils sont des cibles faciles pour la cyber-intimidation. Elle peut même se poursuivre dans la chambre à coucher d’un adolescent, si des messages sont envoyés à l’ordinateur ou sur un écran de téléphone. Elle peut se produire à tout moment et être intrusive à un point tel que l’enfant ou l’adolescent se sent prisonnier et sans défense. Les cyber-agresseurs deviennent des harceleurs qui ne laissent jamais leur victime. Glenn Stutzky, professeur de travail social à la Michigan State University et l’un des principaux chercheurs dans le domaine de la cyber-intimidation, rapporte que [Traduction] « L’intimidation, quand elle arrive dans notre vie, prend le dessus sur celle-ci… c’est seulement une question de temps avant qu’elle revienne. Elle fait mal, car notre vie n’est plus la nôtre. Quelqu’un d’autre la contrôle. »
La venue de la technologie a porté l’intimidation à de nouveaux sommets. Les cyber-agresseurs sont souvent plus malveillants et blessants que les agresseurs en personne, puisqu’ils disent des choses en lignes qu’ils ne diraient jamais en personne. L’anonymat du harcèlement en ligne donne aux agresseurs le pouvoir d’attaquer d’autres personnes tout en courant le risque minime de se faire attraper. L’utilisation de la cyber-technologie pour harceler protège aussi les agresseurs des conséquences de leurs gestes. Le fait de ne pas avoir de contact physique avec leurs victimes réduit le sentiment d’empathie et de remords de l’agresseur.
Qui sont les cyber-agresseurs et les cyber-victimes?
Le cyber-agresseur ou la victime ont-ils un profil type? S’il y a eu très peu de recherches sur les caractéristiques des cyber-agresseurs et des victimes, des études récemment menées aux États-Unis procurent certains indices. Les cyber-agresseurs en ligne ont tendance à être des adolescents plus vieux et peuvent être autant des garçons que des filles. Les cyber-agresseurs sont plus susceptibles d’avoir eux mêmes été victimes d’agresseurs en ligne et « hors ligne » réguliers. Les cyber-agresseurs ont des antécédents de comportements délinquants et d’utilisation de drogues accrus en comparaison aux autres. Ceux qui intimident dans Internet ont aussi tendance à avoir une relation plus mauvaise avec leurs parents et à être moins surveillés par ceux-ci.
Les cibles de cyber-agresseurs sont des garçons et des filles, en proportions égales. Trente pour cent des jeunes qui sont la cible de cyber-agresseurs disent se sentir très perturbés par l’incident en ligne, bien que peu d’entre eux signalent le harcèlement. Les garçons qui en sont victimes sont plus susceptibles d’être déprimés que les autres garçons. Des recherches poussées sont nécessaires pour déterminer si ces garçons sont déprimés par suite du harcèlement ou si une dépression pré-existante en a fait des victimes faciles.
Cyber-intimidation et la loi
Dans le cyberespace, aucun comportement n’est entièrement anonyme. Chaque accès à Internet crée une adresse de protocole Internet, ou une empreinte électronique, que les autorités peuvent retracer. Cependant, il peut tout de même être difficile de prouver la cyberintimidation. Si la police peut retracer la source des messages harcelants, l’agresseur peut simplement le nier et avancer que quelqu’un d’autre a utilisé l’ordinateur.
Les agresseurs peuvent aussi contester en invoquant les arguments de la liberté d’expression et de la propriété intellectuelle. Les agresseurs ne sont pas les seuls qui font fi de l’éthique en faveur des droits. Les champions de la liberté d’expression sur Internet ne croient pas qu’il faille censurer quelque chose uniquement parce que certains n’approuvent pas. Selon Jeffrey Shallit, vice-président d’Electronic Frontier Canada, un groupe fondé pour protéger les droits et libertés de personnes qui utilisent la technologie de l’information, [Traduction] « la liberté d’expression protège les pensées que nous détestons tout comme celles que nous apprécions. »
Cependant, en vertu du Code criminel du Canada, certaines formes de cyber-intimidation sont considérées en tant qu’actes criminels et peuvent faire l’objet de pénalités en vertu de la loi. Par exemple, c’est un crime d’envoyer des messages répétés à quelqu’un si la nature des messages fait en sorte que cette personne a peur pour sa sécurité ou celle des autres. Autrement dit, une menace de mort en ligne est une infraction criminelle. C’est aussi considéré un crime de publier des propos diffamatoires, soit quelque chose qui insulte une personne ou porte atteinte à sa réputation en l’exposant à des menaces, à du mépris ou au ridicule. Toute infraction à la Loi canadienne sur les droits de la personne attire aussi les pénalités. Le cyber harcèlement qui met en cause la propagation de la haine ou de la discrimination fondée sur la race, la religion, la couleur, la nationalité ou l’origine ethnique, le sexe, l’orientation sexuelle, la situation de famille, l’âge ou un handicap est aussi illégal.
Prendre des mesures contre la cyber-intimidation
La technologie joue un rôle différent dans la vie des adultes et des jeunes. La plupart des adultes voient les ordinateurs et les téléphones cellulaires en tant qu’outils pratiques. Les enfants et les adolescents, d’autre part, voient ces outils de communication en tant qu’outils sociaux essentiels. Cependant, quand on fait mauvais usage de la technologie pour faire du tort aux autres, les conséquences peuvent être graves. Étant donné l’incidence accrue de la cyber-intimidation et des répercussions négatives qu’elle peut avoir sur la santé des jeunes, la cyber-intimidation doit être vue en tant que grave problème de santé publique qui requiert davantage d’attention.
De nombreux jeunes d’aujourd’hui ont une expérience technologique si avancée qu’il peut être intimidant pour les adultes de suivre. Cependant, les parents et les éducateurs doivent être au courant des activités en ligne des jeunes. Le rôle des enseignants pour combattre le harcèlement peut être plus essentiel encore que celui des parents. La recherche suggère en effet que les cyber-agresseurs ont tendance à avoir des relations de mauvaise qualité avec leurs parents, qui ne les supervisent que très peu.
Le Réseau Éducation-Médias recommande que les adultes adoptent une stratégie de prévention de la cyber-intimidation et enseignent des stratégies de lutte à l’intimidation aux jeunes, en salle de classe et à la maison. Il met l’accent sur le besoin d’établir des directives claires sur l’utilisation responsable de la technologie, faire exécuter les punitions si ces directives ne sont pas respectées et discuter de ce qu’il faut faire si un jeune se sent victime d’un cyber-agresseur. Les jeunes doivent aussi se tenir debout devant les agresseurs, avec leurs pairs. Les enfants sont plus susceptibles d’écouter la critique de leurs amis que celle d’adultes.
La deuxième partie de cet article traite des mesures que les parents peuvent prendre contre la cyber-intimidation.